L’Europe empoisonne l’Afrique en toute légalité

Une nouvelle enquête lève le voile sur l’exportation continue par l’Union européenne de pesticides interdites sur son territoire, en Afrique.

Selon les organisations Public Eye et Unearthed, l’Union européenne a autorisé en 2024 l’envoi vers le continent africain de près de 9 000 tonnes de pesticides jugés trop dangereux pour un usage interne, sur un total mondial estimé à 122 000 tonnes réparties entre 93 pays.

Basée sur l’examen de centaines de notifications d’exportation obtenues auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et d’autorités nationales, l’enquête révèle qu’en 2024, 75 substances prohibées pour des raisons de santé publique et environnementale ont été déclarées pour exportation, contre 41 en 2018.

Parmi les produits les plus exportés figure le 1,3-dichloropropène (1,3-D), un fumigant du sol utilisé dans les cultures maraîchères, classé cancérigène probable par les autorités américaines et interdit dans l’UE depuis 2007. Plus de 20 000 tonnes de ce produit ont été destinées à l’exportation en 2024.

Autre substance controversée : le chlorpyrifos, insecticide organophosphoré banni en 2020 après que des études ont établi son lien avec des troubles neurodéveloppementaux chez les enfants.

Un commerce toxique en plein essor

Malgré des décennies de recherches confirmant sa dangerosité pour les jeunes enfants et les fœtus, 427 tonnes d’insecticides à base de chlorpyrifos ont encore été expédiées en 2024, majoritairement vers des pays à revenu faible ou intermédiaire.

D’autres molécules interdites figurent parmi les plus exportées, notamment le glufosinate, interdit depuis 2018 pour sa toxicité reproductive, et le mancozèbe, retiré du marché en 2020 pour ses effets sur la reproduction et son impact endocrinien.

L’enquête identifie plusieurs multinationales comme acteurs majeurs de ce commerce : l’allemand BASF arrive en tête avec plus de 33 000 tonnes notifiées pour exportation en 2024, suivi de Teleos Ag Solutions, Agria, Corteva Agriscience et le groupe suisse Syngenta Public Eye.

Une étude menée au Kenya en 2020 montrait déjà que les pesticides hautement dangereux représentaient plus des trois quarts des volumes utilisés sur place, dont près de la moitié étaient déjà interdits dans l’Union européenne.

Le Maroc et l’Afrique du Sud en première ligne

En Afrique, Syngenta et Bayer AG contrôlaient 35% du marché kényan des produits phytosanitaires. Le Maroc et l’Afrique du Sud ont constitué les principales destinations en 2024, recevant respectivement 3 264 et 2 153 tonnes, soit près de 60% du total destiné à la région.

Le Kenya figure aussi parmi les importateurs notables, avec 473 000 kilogrammes d’ingrédients actifs en provenance d’Europe, dont trois composés déjà restreints par sa propre législation.

« L’Union européenne ne peut pas se prétendre cohérente dans son ambition d’un environnement sans substances toxiques si elle autorise l’exportation de produits chimiques qu’elle interdit chez elle », rappelait pourtant Virginijus Sinkevičius, commissaire européen à l’Environnement, lors du lancement d’une consultation publique en 2023.


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