La Guinée fêtera le 4 octobre prochain les 61 ans de ses relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine. Un anniversaire au goût amer, tant la Guinée d’Alpha Condé paraît désormais être passée sous la coupe de Pékin. Sans que la population du pays ne jouisse d’aucun avantage.
Premier pays d’Afrique francophone à avoir obtenu son indépendance dès 1958, la Guinée est aussi le premier pays d’Afrique sub-saharienne à avoir établi des relations diplomatiques avec l’Empire du Milieu. La Chine de Mao Tsé-toung, alors engagée dans sa politique du « Grand Bond en Avant », responsable de près de 20 à 50 millions de morts selon les historiens, saluait au sujet de la Guinée un « succès pour les peuples d’Afrique et d’Asie dans la lutte contre le colonialisme ». Des mots qui sonnent ironiquement 61 ans plus tard, alors que l’étreinte de l’Empire du Milieu ne cesse de se resserrer sur ce petit pays d’Afrique de l’Ouest qui est l’un des moins développés et des plus pauvres au monde, au point d’interroger sur son autonomie réelle.
Zéro retombée pour la population locale
La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Guinée. Riche en bauxite, minerai entrant dans la composition de l’aluminium, le sous-sol guinéen suscite en effet bien des convoitises de la part des grandes firmes chinoises. Leur implantation ne cesse de se renforcer dans le pays depuis l’accession au pouvoir d’Alpha Condé en 2010. Dans le même temps, les retombées pour la population s’avèrent plus que limitées. Beaucoup d’entreprises de l’Empire du Milieu qui s’implantent dans le pays préfèrent en effet faire venir leurs propres travailleurs d’Asie. Si celles-ci prennent soin d’électrifier leurs camps de base et d’y faire parvenir l’eau courante, la population des villages alentours ne peuvent bien souvent se targuer d’un tel niveau de développement.
Malgré les promesses de ces consortiums miniers d’en faire profiter la population, peu de Guinéens ont vu jusqu’ici leur condition évoluer. L’emploi hors de Conakry demeure quasiment inexistant, l’eau du robinet 97% d’entre eux vivant en zone rurale restent ainsi privés d’électricité. La Guinée affiche ainsi l’un des taux d’électrification les plus bas du continent.
Le barrage de Souapiti, catastrophe humanitaire
Le faible développement des infrastructures électriques entrave le développement de la Guinée. Pour y remédier, le président Alpha Condé a prétendu s’y attaquer durant son mandat en faisant construire des centrales hydroélectriques sur le fleuve Konkouré avec l’appui de grandes entreprises chinoises. De grands barrages ont ainsi vu le jour, sans incidence sur le problème global de l’électrification du pays en raison des nombreuses malfaçons sur ces ouvrages. Le dernier en date, le barrage de Souapiti, s’est même soldé par une catastrophe humanitaire avec le déplacement de quelques 16 000 habitants, qui survivent désormais dans des conditions précaires. Réalisé par des entreprises chinoises, grâce à un prêt colossal de Pékin représentant 50% du budget de l’Etat guinéen, le barrage pourrait même repasser intégralement sous contrôle de Pékin si celui-ci n’était pas remboursé par Conakry, compromettant d’autant la souveraineté énergétique de la Guinée.
D’ores et déjà l’autonomie de Conakry vis-à-vis de la Chine pose question, tant Alpha Condé et les diplomates guinéens apparaissent déterminés à faire le jeu de Pékin sur la scène internationale. Ceux-ci n’ont pas hésité à absoudre Pékin des accusations de « génocide » visant sa minorité ouïghoure dans l’enceinte-même du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, malgré les images de camps d’internement et les témoignages de sévices et de mauvais traitements, mais aussi malgré l’écrasante majorité de musulmans (88%) au sein de sa population. Conakry s’est également prêtée aux mises en scène de distribution de masques et de matériel médical par la Chine, surtout destinés à faire oublier son rôle dans la diffusion du Covid-19 dans le reste du monde
Soutien à la dérive autoritaire du clan Condé
De son côté, Pékin montre un soutien inconditionnel au clan Condé. La Chine a ainsi entériné les résultats du référendum constitutionnel destiné à permettre au président sortant de briguer un troisième mandat, qui le laisserait au pouvoir jusqu’à ses 87 ans (autant dire : une présidence à vie). Ce scrutin avait suscité l’indignation d’une grande partie de la classe guinéenne, critiquant une manœuvre de la part d’Alpha Condé pour rester au pouvoir coûte que coûte, et une dérive autoritaire de la présidence guinéenne. Durant les mois précédents le scrutin, plusieurs opposants ont été arrêtés après avoir critiqué la modification de la constitution. Les manifestants qui se sont rassemblés le jour-même pour protester contre le référendum ont été quant à eux dispersés à coup de grenades lacrymogènes et de tirs d’armes lourdes. Une répression condamnée par la communauté internationale dans son ensemble, à l’exception notable de la Chine qui a souligné au contraire les « bonnes conditions » dans lesquelles le vote se serait prétendument tenu.
Pour les Guinéens, le bilan de ce 61e anniversaire est donc sombre. Outre l’absence de retombées économiques, la construction de grandes infrastructures stratégiques détournées par la Chine sur son territoire, il faut aussi compter sur les vifs encouragements prodigués par Pékin à la dérive sécuritaire et autocratique du régime d’Alpha Condé, qui apparaît de plus en plus vassalisé par l’Empire du Milieu. Tandis que la Guinée reste l’un des Etats les moins développés du continent et que sa population se maintient parmi les plus pauvres de la planète, les soutiens de la Chine bénéficient quant à eux des largesses de Pékin pour prix de leurs compromissions diplomatiques. Un bien triste bilan, qui ne se chiffre pas seulement en vies humaines, mais aussi en années perdues pour l’émergence de la Guinée.
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