
Le projet censé améliorer l’accès aux soins de santé dans les pays émergents, mené par le géant américain du capital-investissement TPG avec le soutien de la Banque mondiale et de la Fondation Gates, a viré au cauchemar financier. Enquête sur une dérive qui transforme les patients en sources de profit.
TPG jouit peut-être d’une excellente réputation ailleurs dans le monde, mais pour Wario Abdul, ces trois lettres symbolisent désormais l’horreur qui lui a coûté sa mère. Fatuma Dida, cette Kenyane de 37 ans, compte parmi les nombreuses victimes du système d’exploitation orchestré par le fonds d’investissement américain.
Cette entreprise qui brasse 250 milliards de dollars d’actifs sous gestion, a en effet perverti l’initiative philanthropique qui justifiait son partenariat avec Evercare, groupe de soins de santé destinée aux marchés émergents.
Lancé en mai 2019, ce projet devait apporter des soins de qualité aux populations délaissées. Il a rapidement viré en une quête effrénée de profit, au mépris de toute éthique médicale, selon une récente enquête de Bloomberg.
Des objectifs financiers au détriment des soins
L’analyse de documents internes et les témoignages d’employés actuels et anciens par le quotidien américain a révélé un système de pression financière constante sur le personnel médical. Les médecins se sont ainsi vu imposer des objectifs de revenus stricts.
L’exemple de Fatuma Dida illustre tragiquement cette dérive. Arrivée en avril 2024 à l’hôpital Avenue Parklands de Nairobi pour soigner une tuberculose, cette habitante du quartier défavorisé de Deep Sea sombre rapidement dans le coma.
Malgré l’arrêt des soins demandé par sa famille, l’hôpital a continué d’accumuler les facturations abusives, dont 500 dollars pour 82 masques respiratoires en une seule journée, des tests inutiles, puis durant ses dernières 48 heures d’inconscience, dix injections cardiaques, sept contrôles de glycémie et quatre séances de kinésithérapie.
Résultat : une facture de 15 480 dollars pour une mourante. Summum de l’indécence, l’établissement refuse de libérer le corps tant que la note n’est pas soldée, empêchant l’enterrement dans les délais prescrits par la tradition musulmane.
La philanthropie à l’épreuve du terrain
« Je suis devenu de plus en plus furieux contre Avenue pour avoir traité son corps comme un compte en banque« , témoigne Ettore Marangi, le moine franciscain qui avait pris en charge les frais médicaux de Fatuma.
Les révélations sur ces pratiques qui s’étendent du Kenya au Pakistan en passant par le Nigeria appellent à une réflexion approfondie sur les modèles de financement de la santé dans les pays émergents. Au Kenya notamment, où moins de 4% de la population dispose d’une assurance privée, une nuit en soins intensifs à l’hôpital Avenue coûte 250 dollars, soit plus de dix fois le salaire quotidien moyen.
Elles illustrent également les dérives possibles de la philanthropie d’entreprise. TPG-Evercare a en effet bénéficié du soutien de bailleurs prestigieux comme la Fondation Gates, la Banque mondiale, ou encore le chanteur Bono via son Rise Fund.
Face aux accusations, ces structures adoptent une posture défensive, renvoyant systématiquement les questions de Bloomberg vers TPG sans assumer leur part de responsabilité dans cette dérive.
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